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Le Capitaine Georges LEFEVRE
Discours prononcé par M. Alain LEFEVRE (fils) au monument aux morts de la commune lors des cérémonies de la libération le 28 janvier 2023
Monsieur Robert Kohler m’a demandé de relater les faits d’armes de mon père, le capitaine Lefèvre, qui commandait le 3ème escadron du 1er Régiment de Chasseurs d’Afrique au côté de la 2ème compagnie du Régiment de Marche de la Légion Étrangère pour l’assaut libérateur d’Urschenheim.
Je rappelle brièvement la situation militaire au 30 janvier 1945 telle qu’elle se présentait au Combat Command 5 auquel appartenaient ces unités. L’enjeu était de poursuivre la percée vers Colmar, ouverte par les héroïques combats de Jebsheim, et de contrôler la rive gauche du Rhin, au moins jusqu’à Kunheim.
Pour le CC5, qui contrôlait déjà Muntzenheim, la libération d’Urschenheim devait permettre de prendre les troupes allemandes solidement établies à Durrenentzen en tenaille et, avec nos Alliés, de poursuivre ainsi la route vers Neuf-Brisach et Colmar.
Avec le recul du temps, je pense pouvoir dire qu’à 31 ans mon père, par sa formation et sa psychologie, était bien armé pour affronter les circonstances de la terrible journée qui s’annonçait et, au-delà, les moments compliqués qu’il allait rencontrer au long de sa carrière.
Son dossier militaire et le ressenti familial s’accordent sur les traits de sa personnalité : un caractère très trempé, mais une foncière humilité et une vraie humanité. Militaire dans l’âme, il ne mettait rien au-dessus de son devoir.
Pupille de la Nation, le capitaine Lefèvre avait réussi le concours de Saint-Cyr à l’orée de ses dix-huit ans.
Il choisit ensuite l’École des Chars de Versailles avant de rejoindre le 509ème Régiment de Chars de Combat à Maubeuge.
Muté au Maroc en 1937 il ne participera pas, de ce fait, à la bataille de France.
Ce hasard en fera un acteur significatif d’un moment historique quand, sur la plage de Fédala, surgit l’armada américaine de Libération au cœur de la nuit du 8 novembre 1942.
Dans son livre-témoignage « Le débarquement du 8 novembre 1942 en Afrique du nord », l’amiral Barjot titre en effet : « L’accueil du lieutenant Lefèvre, à Fédala, permet aux Alliés la réussite de I ‘opération de Casablanca ».
Pour juger la situation du 8 novembre 42, il ne pouvait y avoir mieux informé que l’amiral Barjot.
Participant des entretiens clandestins de Cherchell où, à moins de trois semaines de son déclenchement, la Résistance et les Américains préparèrent l’opération Torch, Pierre Barjot fut par la suite commandant en chef du corps expéditionnaire français de Suez.
Le lieutenant Lefèvre commandait donc le peloton de chars du 1er RCA chargé de la Défense du littoral de Fédala. Recevant des ordres contradictoires, découvrant soudainement dans l’incertitude et l’obscurité une situation où l’ennemi lui-même n’était pas clairement désigné, il voit et agit juste, comme l’ont observé les historiens américains qui suivaient l’assaut du général Patton.
C’est un fait peu relevé que le lieutenant Lefèvre fut le premier officier Français au contact des alliés de l’opération Torch, augurant par son esprit de décision, en dépit des courants instables du moment, la remise en marche de la France dans la guerre aux côtés des Alliés.
Au petit matin du 8 novembre, après avoir accueilli sur la plage le colonel Wilbur, premier officier américain débarqué, il prend seul l’initiative de lui ouvrir le chemin de Casablanca pour permettre la première liaison officielle franco-américaine. Quelques semaines plus tard Wilbur, devenu général, accueillera à Fédala le général de Gaulle allant à la conférence d’Anfa rejoindre les chefs alliés.
Tout au long de 1943 et de 1944, avec le 1er RCA en Oranie, il participe activement à l’intégration des troupes françaises dans le dispositif américain. L’armée d’Afrique rééquipée, réorganisée et entraînée s’y refond et l’emploi des chars Sherman au sein des Combat Command illustre ce renouveau.
Il débarque à Saint-Raphaël le 20 septembre 1944. Si son espoir, soutenu par les appréciations élogieuses des colonels d’Oléon et de Vernejoul, était de commander un escadron il est, de fait, nommé chef du 4ème bureau à l’État-Major du Combat Command 5.
Il y excelle, semble-t-il, d’après son dossier militaire, mais cet emploi fonctionnel ne l’empêche pas d’être une première fois cité notamment pour son initiative du 18 décembre 1944 quand, sous le feu de l’ennemi, il fait libérer un carrefour dont l’encombrement entravait le ravitaillement des unités engagées.
La libération d’Urschenheim marque son entrée en première ligne sur le champ de bataille.
Le 16 janvier 1945, il reçoit à Gertwiller le commandement du 3ème escadron du 1er RCA qui, après les terribles batailles de Gambsheim et de Benfeld les 7 et 9 janvier, vient de déplorer la perte de 18 hommes : 6 tués, 8 blessés évacués, 4 portés disparus tandis que 6 chars sont détruits ou hors de combat.
Selon les termes de sa citation à l’ordre de l’armée « il remet l’escadron en état dans les plus brefs délais et l’engage à nouveau dans des conditions très dures ».
En effet, dès le 30 janvier il reçoit mission de libérer Urschenheim occupé par le régiment d’élite Edelweiss de la 2ème Gebirgsjäger Division.
Conscient de l’enjeu pour son escadron très éprouvé, mais sans état d’âme, le capitaine Lefèvre définit le dispositif de l’assaut avec le capitaine Louf, commandant la 2ème compagnie du RMLE.
L’ordre de départ est donné à 17 heures 10. L’escadron avec ses deux pelotons, l’un de cinq chars, l’autre de quatre encadrant le char de commandement, démarre l’assaut à partir de Muntzenheim sur la route d’Urschenheim, sans la préparation d’artillerie prévue et espérée des Américains pour neutraliser les dangers potentiels venus de Durrenentzen, ce qui n’était pas anodin.
La défense allemande présumée installée aux lisières d’Urschenheim était également redoutée. Le peloton du lieutenant de Salins, en tête de l’assaut, détruit en effet un canon de 75 antichar. Puis deux chars du peloton de tête et deux chars du peloton Barret, sont mis en flammes et donc hors de combat avant le virage à droite qui précède les premières maisons d’Urschenheim, alors que le char Gamin du Brigadier-chef Grosjean saute sur une mine.
Le char de tête supposé atteint par le canon allemand posté à Urschenheim, les chars suivants se déportent logiquement vers la gauche pour se protéger des tirs sensés venir d’Urschenheim. En réalité, ils s’exposent à ceux venus de Durrenentzen.
Le capitaine Lefèvre dans son char Gallieni au milieu du peloton de l’aspirant Barret, alerté par Villepin son radio chargeur voit passer à un mètre au-dessus de sa tourelle de commandement une boule de feu et comprend que les tirs viennent de l’arrière, donc des lisières de Durrenentzen.
Demandant dès lors aux chars intacts de se déporter à droite, il permet au reste de l’escadron de pénétrer dans Urschenheim et d’y combattre. La bataille y fait rage.
Le capitaine Louf et le lieutenant Henry blessés, l’aspirant Peyrière tué, la 2ème compagnie du Régiment de Marche de la Légion Étrangère n’a plus d’officiers et le lieutenant de Salins prend leur relais. Les trois chars encore en état de marche dont Gallieni, entourés des légionnaires descendus des plaques moteurs, avancent dans Urschenheim en tirant sur les forces allemandes embusquées dans les maisons.
Avec les chars épargnés, le commandant de l’escadron organise un point d’appui cerclé et, à 17 heures 45, demande des renforts par radio, mais il n’a pas de retour. À 18 heures 30 il constate que ses messages répétés ont été entendus : la 1ère compagnie de la Légion et le 1er escadron du 1er RCA lui viennent en appui, suivis par les Commandos de France du commandant d’Astier puis par les unités alliées.
Dans Urschenheim en feu, les équipages de l’escadron sortis sains et saufs de leurs chars détruits se battent au coude à coude avec les fantassins de la Légion, parfois au corps à corps avec l’ennemi.
Le tribut final de l’escadron à la libération d’Urschenheim est sévère : le MdL Guitton, chef de char, est tué pendant l’assaut, 10 hommes sont blessés dont 8 évacués et 7 chars sur 10 sont détruits ou hors de combat.
Deux chars représentent l’escadron à la prise d’armes de Colmar en l’honneur des généraux de Gaulle et de Lattre.
La guerre se poursuit. La frontière est franchie à Wissembourg le 3 avril, pour que débute la campagne d’Allemagne. L’escadron s’y illustre par une série de combats qui sont autant de succès, notamment à STETTEN le 5 avril, à BONNINGHEIM le 7 et à KIRCHEIM le 8.
Le capitaine Lefèvre, selon sa citation à l’ordre de l’armée, « termine en pointe de l’armée française dans la vallée du VORARLBERG, en poussant avec hardiesse et opiniâtreté, malgré un terrain très défavorable ».
Pour l’année 1945, l’appréciation de ses chefs ajoute une note utile à la compréhension de sa contribution personnelle à la libération d’Urschenheim :
« A pris le commandement d’un escadron de chars moyens en pleine bataille. L’a commandé avec autorité, sang-froid et une magnifique énergie.
Officier intelligent et cultivé, de haute valeur morale, caractère affirmé, mais parfois un peu difficile. Très bon organisateur. Très exigeant dans son commandement, mais payant constamment de sa personne, il obtient des résultats excellents et est aimé de tous dans son escadron. Robuste et très sportif, il entraîne toute son unité dans son sillage ».
A la fin des hostilités, la Légion conféra au capitaine Lefèvre la distinction de Légionnaire honoraire de 1ère classe. En 1991, son fils Bernard partagera cet honneur, après avoir commandé les appuis du 2ème étranger durant la guerre du Golfe. Le Képi Blanc releva que l’attribution de cette distinction à un père et à son fils était inédite.
Après quatre années d’occupation à Tübingen au 1er RCA, puis au 12ème cuirs, le futur général Lefèvre participe aux campagnes d’Indochine et d’Algérie, où il s’illustre encore. Commandant en second du 2ème Régiment de Spahis marocains à Baria en Cochinchine, il perd son chef de corps, le lieutenant-colonel de La Maisonneuve qui le remplaça au dernier moment pour commander une reconnaissance qui lui fut fatale.
Après son intérim comme chef de corps, le commandant Lefèvre est désigné chef d’état-major de l’immense zone opérationnelle sud-Laos traversée par la piste Hô-Chi-Minh. Comme en 1944, il est « constamment sur la brèche, payant de sa personne » souligne sa 6ème citation.
Après la chute de Diên Biên Phu, fin 1954, le général Agostini met l’accent sur ses « hautes qualités techniques dans la mise sur pied des difficiles plans d’évacuation du Tonkin ». Il voit en lui un « officier supérieur dont l’éloge n’est plus à faire, présentant un ensemble de qualités intellectuelles et morales, une franchise et une droiture d’esprit que l’on aime rencontrer ».
Muté en Algérie en juin 1958, il commande successivement les 8ème Chasseurs et 3ème Cuirs. Il y reçoit sa 8ème citation, la seconde à l’ordre de l’armée, après une blessure par mine lors d’une opération de reconnaissance le 31 mai 1960.
J’évoque maintenant quelques souvenirs personnels : instructeur à l’École Supérieure de Guerre après la guerre d’Algérie, mon père eut comme adjoint, et il est possible de dire comme ami, le colonel Bigeard qui me fit l’honneur de m’inviter à dîner chez lui. J’en garde, évidemment, un grand souvenir.
Après la messe d’enterrement de mon père au mois de janvier 1993, les paroles et la poignée de main du lieutenant Jacquety me firent ressentir ce qu’est la fraternité d’armes. Quelques heures après la libération d’Urschenheim, à l’aube du 31 janvier 1945, le lieutenant Jacquety commandait le peloton du 2ème escadron du 1er RCA engagé à Durrenentzen et y avait été blessé.
Je garde très vif le souvenir de l’émotion qu’exprimait mon père quand les Alsaciens témoignaient avec tant de cœur leur gratitude pour les sacrifices consentis par la 5ème DB, et plus particulièrement pour ce qui le concernait, par le 1er RCA, et aussi, bien entendu, par le RMLE au côté duquel il se battit depuis Urschenheim jusqu’en Autriche.
Je voudrais, pour conclure, exprimer ma gratitude envers tous ceux qui ont contribué par fidélité et patriotisme à perpétuer chaque année depuis 78 ans le souvenir de nos anciens, de leur abnégation et de leur victoire contre l’oppression. La commémoration de la libération d’Urschenheim symbolise, à mes yeux, notre passion pour la France, pour sa liberté et notre espoir d’un avenir digne de son histoire.
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