Accueil | Les périodes de guerre | L'évacuation de Mai 1940
Le témoignage de Léonie DELAMARCHE
Témoignage écrit
Elle avait 19 ans en juin 1940. Elle se rappelle avoir passé une quinzaine de jours à Sigolsheim chez l'habitant avant d'être évacuée vers Saint-Barthélemy d’Agenais. Durant leur transit, le conseiller général de Kaysersberg, Monsieur RITTER, avait fait distribuer une note qui stipulait que les habitants d’Urschenheim qui ne voulaient pas être évacués ne percevraient aucune allocation, alors que les personnes qui se rendraient dans le département du Lot-et-Garonne recevraient une somme de 10 francs par personne et par jour pour un adulte, et cinq francs pour un enfant. Mais à ce moment c'était l'inconnu pour nous et nous ne savions pas que l'invasion était proche et serait rapide.
Durant le voyage, elle se rappelle de longues immobilisations du train pour laisser la priorité aux convois militaires. Elle se rappelle de longues attentes à Juvisy-sur-Orge suite à un bombardement, ainsi qu'à Angoulême où une annexe de la grande gare avait été également touchée par des bombes. A l’arrivé à Marmande, des cars ont conduit les réfugiés à Saint-Barthélemy d’Agenais. Un comité avait été constitué pour rédiger une liste attribuant des futurs hébergements en fonction de la taille des familles. Avant l'évacuation, Madame DELAMARCHE avait suivi une formation dispensée par la Croix-Rouge dans l'éventualité d'une évacuation ; elle a donc mis ses services à contribution des autorités.
Les personnes ne disposaient que de peu de moyens de communication. À Saint-Barthélemy, on écoute la radio au café. Les nouvelles étaient tantôt bonnes, tantôt mauvaises ; « On nous cachait la défaite ».
Lors de notre arrivée, une soupe est servie avec des pois et des œufs durs. Les fruits et les boissons étaient à volonté.
« Nous étions hébergés de manière archaïque. Nous n'étions pas habitués à effectuer la cuisson dans des marmites posées sur des trépieds dans des cheminées. Il y avait un balai, et bien qu'il manquait parfois un ustensile, nous prenions notre mal en patience. Mon père avait 57 ans et ne voulait pas rester inactif ; il a participé aux travaux des vignes et à la cueillette des fruits, parce que les hommes de là-bas été mobilisés ». Elle se rappelle des grosses pêches. Il y avait un producteur de pruneaux qui attendait impatiemment la main-d'oeuvre alsacienne, mais la cueillette ne débuta qu'au moment du retour.
Elle se rappelle de nombreuses personnes d'un certain âge et beaucoup de femmes qui étaient habillées de noir - il y avait beaucoup de veuves de guerre qui portaient le deuil jusqu'à la fin de leur vie.
« Dans un magasin au milieu du village, on trouve de tout. On achetait du lait dans une ferme, et ce qu'il manquait le plus au départ, c'était le café au lait ». Elle se rappelle qu'un conseiller général du Lot-et-Garonne expliquait à la population la situation difficile des évacués qui ont abandonné tout ce qu'ils avaient et demandait à la population de faciliter la vie des réfugies.
« Nous n'étions pas habitués aux cheminées et on ne savait pas que l'air était aspiré par le bas. Il y avait un marchand qui nous procurait du bois pour un bon prix ». Ceux qui ne voulaient pas travailler allaient se promener et l'après-midi, des hommes jouaient aux cartes - parfois c'était très bruyant. Jean-Baptiste HECKLEN, lorsqu'il se rendait au bistrot, prononçait les seules paroles en français qu'il connaissait : « Patronne, une chopine de rouge ». Les personnes qui ne parlaient pas le français se retrouvaient souvent ensemble - elles partageaient souvent des recettes. À la charcuterie il y avait seulement de la viande de porc, des saucisses à cuire, du pâté de campagne et du jambon cru - les choix étaient différents de leurs habitudes alsaciennes.
« A l’église, il y avait une petite chorale dimanche, et on chantait ensemble. Ils disaient que les Alsaciens ont des voix fortes. Monsieur le curé demandait de prier parce que les choses en France n'allaient pas bien ».
Monsieur le curé arrangeait les affaires et s'inquiétait du bien-être des personnes. « C'était l'été, on n'avait pas besoin de couverture, avec un drap on était couvert. Là-bas, ils travaillaient le matin et le soir, et de 13 heures à 16 heures, il n’y avait personne dans les rues. Le soir, il y avait une brise venant de l'Atlantique qui nous rafraîchissait ».
Mme BLATZ avait envoyé une carte à son mari peu avant le départ pour l'informer qu'il était réfugié. Il avait fait son service militaire à Grenoble. Il est venu les rejoindre. Beaucoup d'hommes étaient mobilisés et particulièrement deux des années 1912 à 1914. Un certain nombre était à la ligne Maginot. Elle se rappelle Alfred HAUMESSER qui disait qu'il était perdu et il n’avait des nouvelles de nulle part.
Le docteur CALABET venait de Seyches une fois par semaine. Elle servait d'interprète, le cas échéant. Fort heureusement, il n'y avait pas de grand malade ; mais les gens souffraient du Heimweh. « La dame la plus malheureuse, c'était Mme Blanche BUCHER avec ses deux enfants, Mariette et Maurice. Son mari était mobilisé ».
« Nous sommes allés voir les gens de Biesheim au Mas d’Agenais en bicyclette - on ne savait pas que c'était aussi loin et nous ne sommes pas rentrés le même soir. Toutes les semaines il y avait un petit marché à Saint-Barthélemy. Il y avait beaucoup de fermiers de souche italienne. Nous prenions l'eau aux puits situés dans le village ».
Léonie se rappelle de la présence de soldats français à Saint-Barthélemy, dont certains venaient du nord de la France.
Au moment du retour, tout le monde avait amené des noyaux de pêche en Alsace, mais nos arbres ne produisaient pas des fruits d'aussi bonne qualité.
Fin août, un envoyé de la préfecture d'Agen est venu prévenir d'un retour en Alsace imminent. Léonie avait rédigé un journal relatant la vie à Saint-Barthélemy, mais il a été détruit par un obus qui s'était abattu sur leur maison en 1945.
« Nous sommes revenus le 14 septembre à Urschenheim. À Dijon, au moment de traverser la ligne de démarcation, les Allemands passaient dans les wagons et demandaient « Kein Jude (pas de juifs) ». Une soupe au riz nous a été servie à Dijon. À Colmar, on a été accueilli par une fanfare et à grands coups de propagande. Les anciens appréhendaient l'avenir ».
Camille LEHRY, qui habitait dans la maison de Clément HUCK, avait fait le déplacement à Saint-Barthélemy avec son épouse et ses trois filles. C'était un ancien militaire de carrière qui était adjudant à la caserne de Volgelsheim. À son retour en Alsace, il a franchi les Vosges pour rejoindre Lyon où il travaillait à la préfecture ; il a été fusillé comme résistant.
Elle s'était liée d'amitié avec les deux filles de la famille TESSIER, Eliette et Jeannette, qui habitaient une ferme en direction de Puymiclan. Elle a entretenu une correspondance durant plusieurs années, mais lorsqu’elle leur a annoncé son mariage, le courrier est revenu en retour.
Son frère, Honoré, faisait partie de la commission de sauvegarde. Il avait 17 ans et servait souvent d'intermédiaire avec les régiments stationnés à Urschenheim parce qu'il parlait bien le français. Elle nous dit que Georges HECKLEN faisait la cuisine des membres de la commission de sauvegarde.
À son retour, la vie a continué son chemin de manière difficile la première année, puis un peu mieux les années suivantes, jusqu'au moment de la libération.
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